18 Février 2015
Femme très active, engagée dans des actions sociales bénévoles, elle avait 61 ans quand elle a découvert qu'elle était atteinte de la maladie après des examens approfondis a l’hôpital de la Salpêtrière.
La paralysie a progressivement gagné ses bras. Elle était obligée de se faire nourrir par une tierce personne et devait utiliser un pointeur laser frontal pour utiliser un PC avec clavier adapté. Parfaitement consciente de l'évolution inexorable de cette maladie, elle me pria des le début de l'aider a mourir avant qu'elle ne devienne totalement paralysée , c'est a dire avant de ne plus pouvoir ni communiquer ni se nourrir autrement que par sonde.
En 2007 nous déménagions en province dans une maison de plain pied car elle ne pouvait plus se déplacer sans assistance. Au début de 2008 elle commença à perdre son élocution et à éprouver des difficultés à déglutir.
Elle était totalement opposée à l'idée de "finir" à l'hôpital et refusait de subir cet enfermement progressif dans un corps devenu inerte.
Ses rapports avec les équipes hospitalières marseillaises chargées de suivre l'évolution du mal étaient très conflictuels dans la mesure où elle aurait souhaité un vrai accompagnement vers sa mort alors qu'on lui ménageait des entretiens avec des psychologues qui tenaient un discours totalement surréaliste sur son "projet de vie" et qui voulaient calmer son humeur avec des drogues si puissantes qu'elles aggravaient ses difficultés d'élocution. Comme si son désir de mourir était un trouble psychique !
Elle décida pour ces raisons d'arrêter ces relations avec l'hôpital.
Nous avons cherché comment organiser son suicide dans les meilleures conditions. A cette époque le voyage en Suisse n'était pas évident pour différentes raisons: difficulté de transport, coût, et réticence de l'association Dignitas devant l'afflux d'étrangers. Nous avons fini par trouver le produit anesthésiant adapté, grâce à une personne qui nous l'a procuré à ses risques et périls, en contrebande, puisqu'il est interdit à la vente en France, même sur ordonnance. A partir de cette date, mon épouse était devenue plus sereine dans la mesure ou elle savait que le moment venu elle pourrait en finir avec mon aide.
La situation morale s'est cependant détériorée quand la paralysie a commencé à gagner l'élocution et la déglutition. J'ai tenté de la garder le plus longtemps possible auprès de moi, lui refusant de mettre en place son suicide tant qu'elle ne serait pas dans un état "apaisé". C'était moralement très douloureux car elle me soupçonnait de lâcheté, de vouloir l'abandonner à l'hôpital et me le reprochait parfois avec véhémence. C’était une épreuve très grande, comme dernier acte d'amour, d'accepter qu'elle veuille me quitter en l'aidant du mieux que je pouvais. La tentation existait par moments de partager son suicide mais je l'écartais en pensant à notre fille et nos petits enfants.
Mon épouse a fini par mettre en ordre ses affaires, transmettre ses dernières volontés, expliquer son choix dans un écrit laborieusement inscrit sur son PC. Lors d'une visite prolongée de ma fille, mon épouse nous a convoqués dans sa chambre pour nous dire avec une élocution très difficile que le jour était venu.
Il nous fallait organiser la prise de la potion par voie orale alors qu'elle avait des difficultés à déglutir. Le produit est amer , ce qui peut entraîner des vomissements. D'où la nécessité de prévoir un anti-vomitif avant la potion elle même. N'ayant pas l'usage de ses mains, il fallût lui donner le mélange à la petite cuillère et vaillamment, cuillerées après cuillerées, elle absorba la potion en nous regardant jusqu'à ce que ses yeux se ferment sous l'effet de l'anesthésiant. Elle n'avait pas absorbé la totalité de la dose dite nécessaire. Un réveil pouvait-il subvenir? dans quelles conditions? Nous attendions dans le silence lourd de notre peine que sa respiration cesse. Quelques heures après qu'elle eût cessé (je ne me rappelle pas combien exactement) j'appelai le "15" en signalant la mort de mon épouse dans son sommeil. Le médecin de service, mis au courant de sa maladie, ne chercha pas à en savoir d'avantage et constata le décès sans cocher la case suicide. Le silence hypocrite s'installa donc ensuite par crainte de poursuites judiciaires.
Ce que je souhaite avec une loi sur le suicide assisté est, dans un cadre bien précis, comme en Oregon ou en Suisse, de respecter la volonté du malade, de l'accompagner de manière apaisée vers sa fin sans médications sauvages (dans le cas de mon épouse une injection aurait été plus douce) .
Il serait enfin possible d'éviter les méthodes violentes et les actes ratés et surtout de sortir de l'hypocrisie et du mensonge liés à la peur des poursuites d'un procureur zélé.
Et par dessus tout de RESPECTER LE DERNIER ACTE VOLONTAIRE DU DÉFUNT.