~~ Le monde dit que je suis chez-nous ici, mais ce n'est pas chez-nous, c'est là où on m'a laissée, là où on m'a placée.
~~les fesses à l'air devant deux gars que je ne connais pas. Ils font comme si je n'existais pas. Ils parlent entre eux du hockey en me lavant l'entrejambes. J'ai honte.
~~Un bain en 10 minutes de l'entrée à la sortie avec deux personnes que je ne connais pas. Deux personnes avec des bottes de pluie qui se parlent entre elles en me passant un savon qui pue sur le corps. Toute nue, en dessous des gros néons, devant des inconnus. C'est mon pire moment de la semaine.
~~Mais je ne décide plus rien. Je ne sais même pas qui décide ce que je bois. Je ne pensais jamais ne pas décider comment boire mon café. Je suis rendu là.
~~Je veux aller aux toilettes. Je hais cette couche. Je ne veux pas me pisser dessus. Je vais me retenir. ...........~~Trop tard. Je me suis pissée dessus, encore.
~~J'ai soif. Je n'ai rien bu depuis le matin. - « Excusez-moi, est-ce que je peux avoir de l'eau? » On ne m'entend pas. Faire semblant de ne pas entendre un vieux qui demande quelque chose doit être un prérequis pour travailler ici.
~~Le temps est long. C'est le temps le plus long de ma vie. Paraît qu'on vieillit ici. Je pense qu'on attend la mort. J'y pense souvent à la mort. Elle a dû m'oublier. Trop occupée avec les guerres et les pays du tiers monde, elle me laisse pourrir ici.
~~ J'existe pour attendre. Là, j'attends qu'on me change la couche et le diner que je ne mangerai pas.
~~on ne m'offre plus de caresse. Il n'y a qu'elle qui me touche doucement....~~Son regard est plein de soleil, son sourire éclatant.....~~Elle met sa musique haïtienne au salon et ça me fait rêver. Il y a des infirmières qui chialent et disent que la musique les dérange. Entendre de la musique, moi, ça me garde en vie.....~~Patsy est une perle... ~~Elle me traite comme un être humain. Elle prend le temps de nous parler. De me faire un câlin,.... ~~Elle met de la joie dans la pièce quand elle fredonne des chansons. C'est de ça dont j'ai besoin.
~~Le dîner arrive. On ferme la musique. On nous corde comme du bétail. On nous met une bavette. On dirait que je suis à la garderie.
~~Le plaisir de manger n'existe plus. Manger pour survivre à une vie qui n'en finit plus de s'éterniser. - « Mangez! » Toujours des ordres : "prenez vos pilules", "mangez", "levez-vous", "buvez". On ne s'y habitue pas. Les mots pour nous diriger.
~~La sieste. Comme si j'avais trois ans.
~~Je vis un peu à travers ce que j'entends. J'essaie de comprendre l'actualité à travers les bribes de conversations. Parce qu'ici, personne ne me parle de ce qui se passe. On me parle du soleil et de la pluie.
~~Ma fille qui passe. Elle a l'air fatiguée et pressée. Comme chaque fois qu'elle vient... ~~Elle n'aime pas venir ici, mais elle m'y a placée. Le CHSLD est assez bien pour une vieille comme moi, mais pas pour que ma famille y passe plus que 30 minutes et pas plus de 15 minutes sans se plaindre.
~~Il faudrait être habillé en guenilles et ne jamais porter de bijou pour ne rien se faire voler. Ici, on n'est pas vraiment chez-nous. Chez-nous, ce n'est pas où tout le monde peut rentrer, même quand je ne suis pas là
~~ - « Je t'amènerais bien dehors, mais il fait un peu froid et il vente. T'es mieux en dedans.»
Le vent. Le froid. J'aimerais les sentir sur ma peau. Sortir de cette bulle. Sentir ce que je vois de ma fenêtre. L'odeur du dehors. L'odeur du vent. Toucher un arbre. Avoir froid. Me sentir vivante. Mais il fait soit trop froid, soit trop chaud. L'été, on a peur que je me déshydrate au soleil et l'hiver que je gèle. Au printemps, il fait encore trop froid. Mieux vaut rester ici, bien à l'abri de tout ce qui pourrait me rendre malade. Parce que si je suis malade, je risquerais de ne pas pouvoir assister au prochain baseball poche ou manquer un film sans son. Pire, je pourrais mourir rapidement. Mieux vaut rester en dedans et être en santé pour attendre sans fin ma mort qui ne viendra jamais.
~~Une visite pour se déculpabiliser de placer sa vieille mère dans un endroit aussi misérable. Je suis fâchée. Je suis triste. Pourquoi j'existe ? Pourquoi je suis ici ? Pourquoi terminer ma vie dans cette place de merde ? Je suis impuissante face à mon propre sort. Je n'y peux plus rien.
~~ À quoi sert cette vieillesse ? Cette attente ? La rage de la mort qui ne vient pas.
~~Le coup est parti tout seul. Peut-être même deux. Dans sa face. De l'énergie que je ne me connaissais pas. La cloche qui sonne. Un code est lancé. Des préposés pour me tenir. Des cris. La douleur dans le dos. Le sol. Mon corps qui se débat. Laissez-moi tranquille ! Une piqûre....
~~La mort, c'est bien. Je suis dans la maison que je connais. Il fait soleil. Les oiseaux chantent et le vent est bon. La mort, c'est doux. La mort, ça dure combien de temps ? Toute l'éternité ?
~~Je la sens me tenir la main. Je sens la paume douce de sa main qui me caresse le bras.
« Madame Labrie, Madame Labrie... C'est Patsy, votre préposée préférée. Est-ce que ça va mieux ?»
Bonjour, j'avais mis votre blog dans mes favoris, parce que démarqué de l'ADMD, et parce que...<br />
Montpellier! Mais là, pas trop d'accord: il ne s'agit pas d'un EHPAD français, mais d'un CHSLD canadien... Certes, ce n'est pas mieux en USLD (j'en connais une dans le 26...), et sans doute<br />
pas mieux dans la plupart des EHPAD, mais qui se cache derrière le texte? Pas la patiente,<br />
pas sa fille, un militant? Je vis cette situation pour ma mère de 98 ans, infirmière passionnée<br />
pendant 30 ans, ombre de l'ombre d'elle -même, mais je n'approuve pas le procédé.