14 Février 2019
Aide médicale à mourir
QUÉBEC Caroline Touzin et Martin Tremblay La Presse
extraits :
« Je pars sereine ». La jeune femme de 35 ans a accueilli La Presse chez elle dans ses derniers moments pour « montrer aux politiciens que tout le monde devrait avoir le droit de mourir dans la dignité ».
À 14 h, la jeune femme a rendez-vous avec la mort. Elle a tout planifié. Allongée dans un lit d’hôpital prêté par le CLSC pour sa « dernière » semaine, Marie-Ève est entourée des gens qui ont marqué sa vie. Trop malade pour travailler. Trop malade pour tomber amoureuse. Trop malade pour avoir un enfant. Trop souffrante pour suivre des ateliers de peinture. Incapable de se concentrer même pour lire. La jeune femme a fait une première demande d’aide médicale à mourir qui lui a été refusée l’an dernier. Elle remplissait tous les critères de la loi, sauf celui de « fin de vie ».
La Presse a raconté le mois dernier son désespoir d’avoir à se battre pour mourir, alors que ses souffrances physiques constantes, insupportables, ne pouvaient plus être apaisées dans des conditions jugées tolérables. Après avoir essuyé ce refus, elle a eu de plus en plus de mal à manger. Son état s’est détérioré à tel point qu’elle a dû être hospitalisée à la mi-janvier, au moment de la publication de notre premier reportage sur son histoire.
A l’hôpital, elle a refait une demande d’aide médicale à mourir. Cette fois-ci, sa requête a été acceptée. Il ne lui restait plus que quelques mois à vivre, selon les médecins. Tous les critères de la loi – dont celui qui est restrictif de la fin de vie – étaient donc remplis.
Marie-Ève a tout planifié pour l’après jusqu’au choix des photos qui défileraient à ses funérailles. Et le message inscrit sur le signet funéraire. Elle a convaincu l’un de ses amis d’y jouer l’une de ses compositions au piano.
« C’est un brin surréaliste, en même temps, c’est la plus belle des morts », nous dit Marie-Ève
« J’ai le temps de dire au revoir à tous ceux que j’aime et je vais partir sans souffrir. Je souhaite cela à tout le monde. »
À 81 ans, le Dr Viens est « en mission ».
Peu de médecins au Québec acceptent de pratiquer l’aide médicale à mourir. Marie-Ève est son 68e cas depuis l’entrée en vigueur de la loi québécoise, il y a trois ans. Ce sera sa plus jeune patiente à qui il donnera la mort.
« Beaucoup de gens me demandent comment, comme médecin, je peux enlever la vie.
Je n’enlève pas la vie. Mes patients souffrent au point qu’ils n’ont plus de vie. J’enlève la souffrance », décrit ce médecin de famille qui a longtemps pratiqué dans une maison de soins palliatifs. Il a d’ailleurs démissionné de l’établissement parce qu’on refusait d’y pratiquer l’aide médicale à mourir. Il a choisi de pratiquer à domicile.
« L’hôpital, ce n’est pas une place pour mourir.
C’est une place pour se faire réparer. Quand on ne peut pas être réparé, on ne devrait pas rester là. »
Lorsque le Dr Viens parle de l’aide médicale à mourir, il devient émotif.
« C’est probablement le plus beau geste de toute la médecine, lance-t-il. Avec une seule dose, demandée par le patient, sans effet secondaire, on traite une maladie incurable. »
À 81 ans, le Dr Viens affirme que sa nouvelle pratique l’a fait « rajeunir ».
Durant 25 ans aux soins palliatifs, il ne pouvait rien offrir aux grands malades désespérés qui soit efficace et légal. Il ne pouvait que les endormir lorsque la mort était imminente.
« On m’a souvent demandé “la vraie piqûre”.
À l’époque, répondre à cette demande était passible de 14 ans de prison », souligne-t-il dans
son livre : Les visages de l’aide médicale à mourir, publié en 2017.
Le Dr Viens trouve la loi québécoise beaucoup trop restrictive.
Il aimerait voir le critère de « fin de vie » disparaître.
« La somme des autres conditions qui doivent être réunies en même temps pour avoir droit à l’aide médicale à mourir (maladie incurable rendue à un déclin irréversible avancé, souffrances physiques ou psychologiques constantes, intolérables et inapaisables, aptitude à décider) m’apparaît amplement suffisante pour conclure à une situation de fin de vie, plaide le Dr Viens.
Y ajouter la notion de “fin de vie”, sans la définir, mais en la réduisant à sa seule composante animale, ne sert qu’à limiter l’accès à une loi censée servir les plus souffrants. »