13 Avril 2020
Propos recueillis par Victoria Gairin
EXTRAITS
Depuis 30 ans, Martin Winckler s'inspire de son expérience de médecin – il a exercé comme généraliste dans la Sarthe de 1983 à 2008, ainsi qu'à l'hôpital du Mans – pour nourrir une œuvre engagée et utopiste sur le monde médical.
Installé à Montréal depuis 2009, celui qui tire la sonnette d'alarme à travers des livres-chocs
– La Maladie de Sachs (1989), Le Chœur des femmes (2009), Les Brutes en blanc (2016) – exprime aujourd'hui sa profonde inquiétude face à la pandémie de coronavirus.
Martin Winckler : « Les soignantes doivent faire leur révolution ! »
En pleine pandémie de coronavirus, le médecin-romancier installé à Montréal s'inquiète de la situation en France et espère des changements du monde médical.
Son dernier roman, L'École des soignantes (P.O.L., 2019), offrait sa vision d'un hôpital idéal, où la relation aux patients est tissée de bienveillance, d'écoute et d'une profonde humanité.
… je suis extrêmement inquiet, choqué, en colère, lorsque j'entends les informations qui me parviennent de France.
Et notamment par le fait que la France utilise la police, non pas pour protéger la population, mais pour la maltraiter.
Qu'on verbalise des femmes – comme cela a été relayé sur Twitter – sorties acheter un test de grossesse, une pilule contraceptive ou des protections hygiéniques, au motif que cela n'est pas considéré comme de première nécessité, je trouve ça scandaleux !
Que l'on interdise les réunions, les rave, les rassemblements … je comprends très bien.
Mais de là à fliquer les gens dans la rue, comme c'est le cas en France, c'est inadmissible. Où est la démocratie ? Où est la liberté ?
Les Français sont infantilisés par le gouvernement, ...
C'est le symptôme de cette mentalité française très paternaliste :
moi qui ai un statut, je sais mieux que vous et je décide pour vous.
Vous savez, cela fait des années que je tire la sonnette d'alarme sur la condition des soignantes en France.
Oui, je féminise délibérément le mot, car les infirmières, ne l'oublions pas, c'est 90 % de femmes.
C'est malheureux, mais il aura fallu le Covid-19
pour que les infirmières, les aides-soignantes – qui sont mal payées, en sous-effectifs, et manquent de moyens depuis des années – soient enfin placées sous les projecteurs, et qu'on s'intéresse un peu à leurs conditions de travail.
Et c'est pareil pour les Ehpad. Il n'y a pas de politique de prise en charge des personnes âgées dépendantes en France. Les Ehpad sont une version à peine évoluée du mouroir. Et l'on s'étonne que l'épidémie y fasse des ravages !
Je crois que tout est une question de priorité,
et en France, la santé n'en est clairement pas une.
Les femmes en général, et c'est particulièrement vrai pour les professionnelles de santé, ne peuvent plus travailler dans ces conditions, subir un tel poids hiérarchique, une telle exploitation, gagner un salaire nettement inférieur à celui des hommes…
Les soignantes doivent faire leur révolution !
Les bouleversements dans la société ne peuvent venir que des femmes.
#MeToo a profondément changé le regard que nous portions sur le harcèlement sexuel, les rapports entre les femmes et les hommes,
mais je crois que la santé – parce qu'elle concerne tout le monde, les jeunes, les vieux, les hommes, les femmes – peut aussi être un formidable vecteur de changement. Cela va sûrement être brutal, mais c'est nécessaire.
Je soutiens depuis longtemps l'idée que l'apprentissage des gestes médicaux doit être ouvert à l'ensemble des professions médicales, et je crois que l'actualité me donne aujourd'hui raison.
Quand je vois que la France envoie les externes, non formés, désarmés, servir d'infirmières, cela me met dans tous mes états.
Dans mon dernier roman, L'École des soignantes,
j'invente une utopie médicale, un hôpital dans lequel tous les professionnels de santé passeraient par les mêmes apprentissages.
Il n'y a aucune raison d'exclure des gens au départ en disant : toi, infirmière, tu ne pourras jamais opérer une appendicite, et toi, chirurgien, tu pourras ouvrir un thorax.
la sélection des étudiants en médecine en première année n'a aucun sens.
Une médecine fondée sur la peur est une mauvaise médecine.
Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'apprendre à tout le monde à faire le travail de tout le monde, cela fait gagner du temps, permet de mieux soigner, bref, c'est rentable.
La hiérarchisation et les rapports de pouvoir sont contre-productifs, et cela coûte cher.
Si on veut vraiment « rentabiliser » les soins,
il faut que tous les étudiants en médecine soient aides-soignants. Puis infirmiers. Puis médecins.
Cela signifie aussi qu'une infirmière doit pouvoir devenir médecin.
Et qu'à travail égal corresponde un salaire égal.
Alors que la santé devrait être une préoccupation de service public, elle est traitée comme un marché.
Lire : Le Chœur des femmes. 2011
Profiter de ce moment pour s'interroger sur ce qu'est l'hôpital aujourd'hui,
et comment on y exerce, me paraît une bonne chose.