8 Octobre 2021
Tout s'est bien passé : le livre 2013
écrit par sa fille Emmanuèle après la mort choisie en Suisse de M Bernheim :
je n'ai pas encore vu le film.
interview 8 juin 2014 : qui était votre père ?
Un homme plein de charme et curieux de tout. Il était un collectionneur d'art et un passionné de musique. Il a eu une vie contrariée. Il aurait aimé être pianiste mais, à la suite de la mort de sa mère puis de son frère, il a été amené à reprendre l'entreprise familiale de textile à Elbeuf, en Normandie. Son père l'a menacé de lui couper les vivres s'il choisissait de faire de la musique son métier au lieu de reprendre les rênes de l'entreprise familiale. Encore à la fin de sa vie, il pleurait en racontant cette scène. Il a été un mauvais père, mais je l'aimais.
Je l'aimais beaucoup, plus que je ne l'aimais tout court. Je lui disais : "Je t'aime beaucoup." Cela le faisait rire. J'aurais adoré l'avoir pour ami.
J'ai moins aimé l'avoir comme père.
J'ai eu des parents compliqués. Je leur dois d'avoir passé une adolescence épouvantable avec des complexes dus à ma quasi-obésité. Ils ne m'ont pas aidée à m'aimer. Mes parents n'étaient pas hostiles à la psychanalyse. J'ai donc pu entreprendre tôt une analyse. Elle m'a sauvé la vie. L'homosexualité de mon père est capitale pour comprendre sa personnalité. Je ne l'ai pas passée sous silence dans le récit, car cela aurait été une trahison à son égard. J'ai souffert des non-dits entourant son homosexualité. Elle est restée longtemps secrète au sein de la famille. Si j'avais pu faire le lien entre ma propre obésité et l'homosexualité de mon père, j'aurais été mieux dans ma peau. Je rêvais, adolescente, de me suicider.
Je n'avais pas envie de raconter l'histoire de leur couple. Leur lien reste mystérieux.
Mon père disait, à la fin de sa vie : "Je ne comprends pas, avec tout ce que je lui ai fait subir, qu'elle ne m'ait jamais quitté." Ma mère a la maladie de Parkinson.
Je me suis littéralement enfuie lorsqu'il m'a demandé de l'aider à mourir. Puis j'ai réfléchi et j'ai compris combien sa demande était cohérente avec ce qu'il était.
Quand j'ai pensé à moi, cela m'a paru insurmontable ; quand j'ai pensé à lui, j'ai trouvé cela cohérent.
J'ai compris sa demande parce que je le connais :
vivre de manière diminuée lui aurait été insupportable.
Tout s'est bien passé n'est pas un livre en faveur de l'euthanasie passive ou active mais un récit sur la liberté. J'ai été heureuse d'offrir à mon père la liberté de mourir comme il le voulait.
La liberté est, chez moi, un sentiment physique.
LE CONTEXTE :
une famille très riche : aucun problème pour aller en Suisse, payer accessoirement avions ambulances hotels restaurants
une femme malade depuis longtemps et éloignée affectivement de son mari, dont la mort future l'indiffère, un mari plus proche de son amant que de sa femme sans doute.
deux filles largement adultes, fusionnelles, admiratives d'un père patriarche dont elles n'ont jamais, tout comme lui, envisagé la mort.
Un père tout puissant, 88 ans, collectionneur d'art, qui paraît indestructible malgré son grand âge et de nombreux prémisses de sa fragilité.
Il n'a pas écrit de directives anticipées, n'a jamais parlé avec ses filles ni sa femme de sa mort ni de ce qui pouvait se passer avant ou après.
Sa fille écrit :
il s'est toujours remis de tout :
triple pontage à 78 ans
maladie nosocomiale et des semaines de réanimation
ablation de la rate,
pleurésie,
embolie pulmonaire
agression à coups de crosse qui lui ont fracassé le crâne
après chaque convalescence, il partait loin, très loin et revenait en forme
Elle rêve qu'une fois de plus il se remette de cet AVC très grave : ischémie, aphasie, ataxie, dysarthrie, hémiparésie, hémiplégie droite, lobe gauche...
mais non s'il va un peu moins mal avec de nombreux soins, son état restera celui d'un lourd handicapé. Il le sait. Pas de miracle.
88 ans, très usé, une vie accomplie comme dirait M Galichet.
Il tombe en automne, il mourra 9 mois après, soins de remise en forme acceptés pour pouvoir se rendre en Suisse.
Il demande très vite à sa fille de l'aider à mourir. Sa sœur est d'accord et va l'aider mais c'est Emmanuèle qui fera toutes les démarches. Sa sœur a deux enfants à s'occuper. Emmanuèle n'a pas d'enfants. Elles ont toutes deux des mari et compagnon attentifs.
En père despotique, lourdement handicapé, n'ayant rien préparé, il se décharge sur sa fille de toutes les démarches nécessaires...
On comprend que sa fille en ait été très affectée !!! mise au pied du mur au dernier moment.
MES COMMENTAIRES : Mon expérience d'accompagnante n'est pas du tout celle là.
Dans mon activité militante je n'ai rencontré que des gens décidés depuis longtemps qui faisaient du choix de leur fin de vie une nécessité de liberté, le besoin de ne pas peser sur les autres, une exigence de vie digne de leur mode de vie personnelle.
Des gens qui depuis des années avaient ces convictions et en parlaient à leur entourage.
Des gens qui se préparaient à la mort depuis longtemmps , très longtemps, voire toujours, et qui pensaient tant qu'à l'avant qu'à l'après.
Dans les pays qui permettent aux patients une aide médicale à mourir à peine plus de 2% la demandent (depuis 20 ans aux pays bas) , ne l'oublions pas.
Il n'y aura pas de demandes excessives si la loi la permet.
Les traditions religieuses font de de la mort volontaire une atteinte à la volonté de leur dieu.
Une atteinte punie de l'enfer pour l'éternité.
Même si les croyances diminuent, il en reste quelques chose.
Et l'instinct de survie est toujours présent, même chez les vieillards. Gagner une heure de vie... la Fontaine en parlait déjà...
D'autre part parler de la mort, s'y préparer est devenu tabou depuis que la médecine occidentale toute puissante , allopathique, a fait miroiter la vie éternelle sur terre à ses clients.
C'est très récent.
Autrefois on vivait avec la mort, un phénomène naturel, les gens mouraient chez eux, entourés de leurs proches. Les gens ne fuyaient ni la maladie ni la mort . Les guerres très fréquentes favorisaient aussi la familiarité de tous avec la maladie, le handicap et la mort.
Raccourcir des agonies trop longues ne posaient aucun problème moral, ni aux familles ni aux médecins.
On partageait ses biens longtemps avant sa mort pour ceux qui laissaient un héritage.
Certains croient maintenant que la mort va être éliminée... sur terre.
C'est la croyance aux sur-hommes largement implantée avec l'intelligence artificielle... qui fait la fortune de ceux qui y président... industrie chimique pharmaceutique, industrie des appareillages divers et variés, tant pour aider les handicapés que pour prolonger les vies.
Pourquoi pas tant que la survie qu'on nous donne est acceptable pour la personne intéressée ?
Mais il faut se poser la question de la qualité de vie, essentielle et relative à chacun.e.
LE PRINCIPE D'ÉCRIRE SES DIRECTIVES PAR AVANCE EST ESSENTIEL :
notre civilisation n'accepte plus la parole comme suffisante, on demande partout des papiers des papiers et encore des papiers...
La fin de vie n'y déroge pas. Bien ou mal, c'est ainsi.
Pour ceux qui ont des difficultés à parler de leur fin de vie avec leur entourage c'est une facilité : vous donnez une copie de vos directives anticipées (testament de fin de vie) et vous pourrez en discuter.
D'autre part bien que la loi ait conservé la toute puissance médicale, c'est un outil important pour nos médecins : au moins ils peuvent savoir ce que vous pensez de la vie et de votre notion de vie digne de vous mêmes. Cela peut les protéger d'un éventuel procès.
Cela va aussi aider votre personne de confiance a faire suivre vos directives par un médecin réticent.