26 Août 2023
Montréal, (Québec, Canada) 24 août 2023
Lettre à admd belge, Me Herremans
Le présent texte est une mise au point concernant les faussetés et autres ellipses rapportées par Me Erwan le Morhedec dans un texte paru en France à l’occasion du débat sur l’euthanasie en ce pays.
En mars 2012, au Québec : présentation du rapport de la « Commission sur les soins de fin de vie - Mourir dans la dignité », commission itinérante consultative trans-partisane qui s'est échelonnée de février 2010 à mars 2012.
Ce même rapport écrivait aussi que le paternalisme des médecins a progressivement cédé le pas à la reconnaissance de l’autonomie du patient et à son droit de décider pour lui-même, une fois bien informé, des soins qu’il reçoit et de leur intensité.
Le 5 juin 2014, le Québec adopte sa loi sur les soins de fin de vie, incluant l’aide médicale à mourir (AMM).
Au Canada : le 6 février 2015 marque une grande avancée juridique et sociétale : le jugement très attendu de la Cour suprême du Canada (CSC) dans Carter – c - Canada. La Cour suprême conclut à l’unanimité que les articles 14 et 241 du Code criminel du Canada (CCC) qui assimilaient l’euthanasie à un homicide contrevenaient aux articles 1 et 7 de la Charte des droits et libertés du Canada. La CSC donnait 12 mois au gouvernement fédéral pour modifier le Code criminel.
Juin 2016 : pour répondre à la CSC, le gouvernement fédéral fait adopter le projet de loi C-14 modifiant le Code criminel, à la majorité de la Chambre des communes du Canada. Les critères du CCC pour obtenir l'aide médicale à mourir sont à toutes fins utiles un copier-coller des critères que le Québec avait déjà adoptés et sont d’ailleurs largement inspirés des balises en vigueur en Belgique et aux Pays-Bas
Des modifications ultérieures, adoptées en mars 2021, ont permis à la loi fédérale de se rapprocher encore plus des recommandations de la CSC.
Au Québec comme au Canada, les critères actuels pour obtenir l’AMM sont les suivants :
la personne est assurée au sens de la Loi sur l'assurance maladie (afin d’éviter le tourisme médical pour recherche de ce soin);
elle est majeure (18 ans) et apte à consentir aux soins;
elle est atteinte d'une maladie grave et incurable;
sa situation médicale se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités;
elle éprouve des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu'elle juge tolérables.
Le code criminel précise qu’une « personne est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables lorsque, à la fois :
a) elle est atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap graves et incurables
b) sa situation médicale se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités;
c) sa maladie, son affection, son handicap ou le déclin avancé et irréversible de ses capacités lui causent des souffrances physiques ou psychologiques persistantes qui lui sont intolérables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge acceptables;
Qu’en est-il des chiffres réels en 2021-2022 (et non pas les données fantasmées des opposants) :
3 663 personnes ont reçu l’AMM entre le 1er avril 2021 et le 31 mars 2022 (5,1 % des décès).
Elles étaient en majorité âgées de 60 ans et plus (93 %), atteintes de cancer (66 %), avaient un pronostic de survie de 1 an ou moins (84 %) et présentaient à la fois des souffrances physiques et psychiques irrémédiables (95 %).
La Commission sur les soins de fin de vie (CSFV)
Spécifique au Québec, la Commission sur les soins de fin de vie a pour mandat « d’examiner toute question relative aux soins de fin de vie et de surveiller l’application des exigences particulières relatives à l’aide médicale à mourir. »
Le dernier rapport annuel disponible de la Commission fait état des données concernant les soins palliatifs et de fin de vie pour la période du 1er avril 2021 au 31 mars 2022. Le rapport 2022-2023 devrait être disponible en octobre 2023. La composition de la CSFV devrait être changée à l’automne 2023, mais pour le moment, elle comprend onze commissaires nommés par le gouvernement après consultation des organismes représentatifs des milieux concernés.
Ce qui est particulier, et très questionnable de la part des médecins prestataires, est que la CSFV ne comprend que 3 médecins, dont un seul évalue des patients et prodigue l’AMM occasionnellement.
D’autre part, même si la CSFV reçoit TOUS les rapports d’AMM et de sédation palliative continue (rapports obligatoires par la loi), elle n’a aucun pouvoir disciplinaire et sa composition montre à l’évidence qu’elle n’a pas les compétences pour évaluer la complexité des multiples conditions médicales soumises. Son pouvoir est de référer un dossier problématique – ou qui semble l’être - aux instances disciplinaires, à savoir le Collège des Médecins du Québec (CMQ) ou encore aux Conseils de Médecins, dentistes et pharmaciens des établissements hospitaliers.
Si l’on se fie aux années antérieures, les remarques avancées par le président de la CSFV sur la soi-disant non-conformité des AMM effectuées représentent le plus souvent des anomalies administratives et non pas médicales.
Il est aussi essentiel de comprendre que la note administrative adressée par le président de la CSFV semble correspondre aux données 2022-2023 pour l’instant confidentielles et donc invérifiables.
En 2021-2022, et à la lumière des renseignements qui lui ont été transmis, la Commission a conclu que l’une des exigences relatives à l’administration de l’AMM édictée par la LCSFV n’avait pas été respectée dans moins de 0,4 % des cas pour lesquels une décision a été rendue (tableau 3.1). Ces dossiers ont été transmis au CMQ pour étude et le nombre de dossiers retenus comme problématique est de zéro (0) sur 3690 formulaires étudiés.
Quelques autres faussetés sont véhiculées par ce communiqué de Koztoujours qui émane clairement d’opposants mal informés.
Les motifs de non-respect des critères de la loi, tels que rapportés par la CSFV, sont tous apparus conformes après une étude plus attentive des dossiers et renseignements pris auprès du médecin prestataire.
Contrairement à ce qui est indiqué, le président de la CSFV, quoique médecin spécialiste de formation, n’est en aucun cas un promoteur de l’euthanasie et n’a jamais évalué un patient pour AMM pas plus qu’il n’en a effectuée car il n’est pas en pratique active depuis plus de 30 ans.
Le signataire de cet article indique que le communiqué n’a pas été rendu public, ce qui est totalement faux : il a été publié comme communiqué de presse par la CSFV.
Le président de la CSFV a écrit que quelques AMM sont faites à la limite de la loi : si elles sont à la limite selon des non-médecins, c’est qu’elles sont à l’intérieur des limites de la loi ...CQFD. Et de toute façon, aucune étude professionnelle par les pairs autorisés n’a confirmé cette allégation du président de la CSFV.
Même si l’auteur de ce pamphlet indique trouver « savoureux » le terme de dérive, la président de la CSFV indique bien qu’il n’y en a pas. Pourquoi dès lors souligner cette expression si ce n’est pour donner une impression de délit aucunement avéré.
Le respect du critère de maladie grave et incurable est entièrement respecté par les médecins prestataires du Québec. Cette remarque du président de la CSFV fait référence à une différence sémiologique entre la loi du Québec et le CCC, différence maintenant abolie, mais à laquelle de toute façon les médecins du Québec n’étaient pas assujettis depuis mars 2021 suite à une recommandation du CMQ.
L’affirmation mensongère et tendancieuse du signataire du pamphlet à l’effet que des personnes âgées sont euthanasiées sur le seul critère de l’âge est une outrancière calomnie : le président de la CSFV n’aime pas que des demandeurs âgés avec syndrome de glissement et polypathologies soient acceptés, mais s’ils le sont, c’est parce qu’ils répondent aux critères de maladie, affection ou handicap, grave, incurable, avec déclin avancé et irréversible et souffrances physiques ou psychologiques ou existentielles. Une dégénérescence maculaire liée à l’âge est une maladie grave et incurable, de même qu’une claudication posturale et neurogénique (diagnostic de Mme Carter, validé par la Cour suprême du Canada) : il n’y a pas de discussion sémantique à y avoir.
Quant à l’affirmation du même président de la CSFV à l’effet qu’un seul deuxième avis défavorable clôt le dossier, cela n’est indiqué nulle part ni dans le CCC, ni dans la loi du Québec. Il est tout aussi évident pour les professionnels de la santé que faire plusieurs demandes de second avis seraient non-déontologique, mais tout comme dans une pratique médicale usuelle, un deuxième avis est souvent sollicité et parfois même un troisième, il n’y a aucune raison que cela soit différent, d’autant plus que la décision finale est suprêmement importante pour le demandeur.
Georges L’Espérance, neurochirurgien
Président, Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité – AQDMD.