25 Septembre 2023
Je suis entièrement d'accord avec Veronique Fournier (le Monde numéro hors série la mort en face) que j'avais rencontré à Poitiers quand elle était chargée des soins palliatifs gouvernementaux.
extraits
Il faut que l’on accepte d’ouvrir le champ des possibles afin que chacun puisse obtenir ce qu’il est capital pour lui d’obtenir – pour réussir sa mort, au moment où il se meurt.
Donc oui, il faut que la société mette à disposition à la fois suffisamment de soins palliatifs de qualité partout sur le territoire, et à la fois la possibilité d’avoir accès à son choix, à l’extrême bout de soi-même, soit à une assistance au suicide, soit à une euthanasie.
Les deux messages essentiels pour moi à transmettre à ce stade sont les suivants :
ne légaliser que le suicide assisté laissera sur le bord de la route tous ceux qui n’ont plus les moyens cognitifs ou psychologiques d’aller jusqu’à agir par eux-mêmes, notamment un grand nombre de ceux qui meurent au bout du très grand âge.
Il faut convaincre les soignants que cela fait partie de leurs responsabilités, je dirais même de leur devoir, d’accompagner leurs patients y compris dans leur demande de mourir, une fois que celle-ci a été dûment réfléchie, discutée, partagée.
Je suis pour ma part certaine qu’un grand nombre de soignants sont déjà convaincus, par-devers ceux qui continuent de résister et que l’on entend plus bruyamment que les premiers.
Ce qui me semble important, c’est que la mort soit le plus proche possible de ce que la personne a souhaité et exprimé pour sa mort. Cela peut de ce fait être très différent d’une personne à l’autre, car les parcours de vie sont de plus en plus individualisés. Nous avons appris à nous émanciper de la règle et à tracer chacun notre route singulière. Alors, oui, la fin du parcours, chacun va l’imaginer à sa façon. Certains voudront regarder la mort venir en face et vivre leur agonie en toute conscience. D’autres s’appliqueront à respecter à la lettre les préceptes de leur religion. D’autres encore voudront choisir l’heure, la date et la façon d’obtenir de mourir. La personne voulait-elle être accompagnée ou non de ses proches ? rester consciente ? avoir accès à un soutien spirituel ? être soulagée, surtout ne pas souffrir ? accepter la souffrance?
Dans ce contexte,
le rôle de la société devrait selon moi être le même pour tous : ne pas porter de jugement et aider chacun à obtenir au plus près la mort qui serait pour lui une mort réussi
le rôle de la société devient à cet instant une mise au service de l’individu et non l’inverse .
Ce n’est pas à l’individu de se conformer à ce qui est attendu de lui en tant que mourant :
c’est à la société d’aider l’individu à réussir sa mort
Parler de la mort qui vient, ne pas la cacher
« Vous nous dites que notre proche est condamné à mourir, soit, mais surtout ne le lui dites pas. » Nous avons appris, nous médecins, que c’était catastrophique et une très mauvaise façon d’accompagner les mourants. Si on agit comme cela, il s’installe une espèce de solitude du mourant extrêmement angoissante et douloureuse pour lui. Il sent que les autres savent des choses que lui ignore. La communication intime et vraie est comme rompue entre lui et ses proches. La mort réussie ne passe certainement pas aujourd’hui par le fait de cacher les choses à celui qui se meurt.
Il est difficile de mourir aujourd’hui si la médecine n’a pas décidé de vous laisser mourir.
Très souvent, elle est capable de maintenir en vie, même misérablement et pendant très longtemps. Les progrès de la science ont provoqué cela, et d’une certaine façon la médecine est aujourd’hui prise à son propre piège. Elle a tellement appris à maintenir en vie qu’elle est capable de maintenir en vie éternellement.
Elle va jusqu’à fabriquer des vies qui errent, entre la vie et la mort, et dont on ne sait plus très bien de quel côté de la frontière elles sont.
Ce qui est important, c’est que la personne concernée soit au courant de ces différents chemins.
C’est pourquoi, avec d’autres, je plaide pour que l’on crée des consultations de fin de vie, des lieux où les gens puissent venir poser toutes les questions qu’ils ont en tête et discuter à bâtons rompus, plusieurs fois s’il le faut, des enjeux – spirituels, philosophiques, -juridiques, médicaux – de telle ou telle façon de choisir de mourir.
J’ai été interpellée par les questions que posent à la médecine la très grande vieillesse et les conditions du mourir quand on est très vieux. Malheureusement, c’est une des situations les plus à risque aujourd’hui de mal mourir. Car on est alors dans une situation paradoxale : tant que ces personnes ne sont pas mortes, on a envie de les aider au mieux et de faire tout ce que l’on peut pour qu’elles vivent bien. Mais quand on agit dans ce sens, on rallonge la vie et on ne la rallonge pas forcément dans des conditions idéales.
D’où le paradoxe de la médecine aujourd’hui : elle est capable de maintenir une personne en vie très longtemps, mais à quel prix ?