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Finir de vivre.
« Vivre un deuil » consiste à pouvoir affronter la séparation et la mort de celui ou celle auquel on est attaché... et la sienne propre.
De la traversée du deuil découle aussi la possibilité de faire face à son chemin personnel d'être humain, définitivement seul, face à lui-même et à sa mort. De savoir de quoi l'avenir sera inéluctablement fait, crée notre spécificité d'être parlant, forcément, de ce fait, soumis à l'angoisse. On peut tenter de se le dissimuler et de se mentir ; c'est une attitude très répandue de nos jours : on zappe !, on refoule... Or l'option du face à face avec la vérité suppose des sujets debout, aptes à gérer la peur du lendemain et de l'inconnu, ou, pour le moins, sachant se relever, après l'épreuve.
Ne pas parler d'un défunt, d'un décès, génère des situations de non-dit et signe une grave difficulté à se construire dans la réalité. Cela peut créer ces deuils pathologiques interminables, que l'on retrouve sur le divan des psychanalystes. Se réfugier dans le refoulement ou le déni se paye toujours à terme d'un retour dans la réalité abrupt. Et ce paiement passe par le biais du corps. Cela veut dire que les maux sont en connexion avec ce qu'on a dans la tête, donc déchiffrables. Ce n'est pas un scoop ! Le corps dit, avec ses maux, les mots qui ont été tus ou profondément refoulés. On appelle çà les phénomènes psychosomatiques. Leur causalité repérée donne du sens à la vie et à la mort. Les choses n'arrivent pas par le plus grand des hasards.
Et de ce fait, pour continuer dans ce registre, la fin de vie, la mort sont à l'image de la vie. La fin de la vie est un point d'orgue à la vie telle qu'elle a été vécue. Elle laisse aussi des traces dans les souvenirs des proches. Ce n'est pas anodin. Certains veulent justement laisser un exemple de courage et de dignité : « car vous avez compris cette règle fondamentale : si votre esprit cède, le corps cédera. Il cédera car il est indissociable de notre esprit » 2.
La mort, cette perte suprême, notre perte ultime, ne dépend-elle pas, elle aussi, de la manière dont nous la percevons, l'acceptons ou la refusons, selon nos positions et ce, en lien avec ce qu'a été notre vécu ? Avec ses composantes de frustration ou de plénitude, de liens ou de solitude, bref, avec la partie inhérente à chacun, de l'économie des pulsions de vie et de mort. Cette gestion des pulsions qui n'est guère sous contrôle, hormis celui, insu, de l'inconscient, nous appartient en propre, au sens où chacun est responsable de sa position et des conséquences afférentes aux actes qui sont posés. Il apparaît que la fin de vie remet en exergue massivement cet aspect des choses et n'épargnent guère ceux qui s'y dérobent. En revanche, ceux qui assument leurs choix et leur parcours, semblent être en mesure de vivre plus calmement leur fin de vie. Parce qu'ils en acceptent le terme pour avoir accompli ce qu'ils s'étaient tracés, en cohérence avec eux mêmes. Un chemin orienté par le désir sur lequel il a été possible de ne pas céder.
Paradoxalement, plus on accepte de penser à la mort, plus on est capable de vivre bien ce qui est à vivre, et plus on a bien vécu, plus on accepte de s'affronter à la mort. Le Dalaï Lama faisait remarquer que « les hommes vivent comme s'ils n'allaient jamais mourir et qu'ils meurent comme s'ils n'avaient jamais vécu ». On est pourtant toujours, et à vie, dans le registre du choix et dans la responsabilité que l'on a, à tout moment de sa vie.
Ce choix de chacun en ce qui concerne la fin de vie va désormais impliquer les médecins : le choix de leur position dans cette nouvelle configuration de la société où l'on va pouvoir choisir sa mort, fait émerger une nouvelle question : qui va accepter de poser ces actes de derniers soins ? Il ne s'agit pas que cela devienne la spécialité de quelques uns, mais bien le devoir de médecins généralistes qui connaissent et accompagnent leurs « patients » tout au long d'une vie, voire de bénévoles comme en Suisse.
Aux vacances de Toussaint, j'ai fait une conférence à la Baule sur le deuil et la perte, dans le cadre de l'admd, association pour le droit de mourir dans la dignité (près de 1000 adhérents en Loire Atlantique) ; le lendemain, ont été invités à une table ronde, par courrier personnalisé, les 1463 médecins généralistesde la région pour débattre sur la fin de vie et plus précisément, de leurs positions sur l'IVV interruption volontaire de vie, ainsi que sur l'application de la loi Leonetti (22 avril 2005) et la rédaction de directives anticipées de leurs « patients » : 14 réponses, 4 accords, 2 présents... Ce silence assourdissant interroge tout de même : « les médecins sont formés à prolonger la vie, pas à la retirer, et à accompagner le patient jusqu'à son heure dernière... » nous sera-t-il rétorqué...
Or pourquoi ne pas considérer comme un droit, le choix d'un « patient » qui se sait en fin de vie, condamné à des souffrances et à de la dépendance, et souhaite abréger ce qu'il considère comme intolérable et non vivable ? Qui, à part lui, peut en décider en âme et conscience ?
Les proches et les médecins n'ont pas à traiter un malade comme un enfant ou un mourant en objet, objet de la Science, dépouillé de son libre arbitre. Cela implique que les choses soient dites, et pas seulement aux familles mais bien au malade en ce qui concerne le diagnostic, le pronostic, afin qu'il puisse décider en toute connaissance de cause sur la nécessité des traitements et de leur application au vu des conséquences et effets secondaires attendus. C'est la loi, certes, mais elle n'est guère appliquée cependant. Or je le redis, détenir un savoir su quelqu'un d'autre, ne pas lui en faire retour, est une position de maître, de toute puissance, qui n'est pas acceptable.
Chacun doit pouvoir faire face à sa mort, la regarder en face, et préparer son départ. Les fins de vie n'en seront que plus paisibles et dignes.
Les directives anticipées permettent de prendre position sur la manière dont on entend finir sa vie : avec ou sans acharnement thérapeutique, en se déterminant sur le don d'organes, sur les modalités d'inhumation ou de crémation, et aussi sur ce qu'il est courant d'appeler suicide assisté ou euthanasie active.Il s'agit d'un geste autre que le simple arrêt des traitements ou d'un sédation visant à adoucir la douleur. Or cela est interdit en France pour l'instant, et beaucoup de militants se battent pour que la loi passe et autorise les médecins à aider à une mort quelque peu anticipée, à la demande expresse du « patient »,soutenue éventuellement par sa personne de confiance, sans qu'ils risquent à coup sûr, une peine d'emprisonnement et la perte de leur métier. Cela est autorisé en Belgique, Hollande, Luxembourg, en Suisseseulement par aide au suicide, le rapport Sicard va sans doute permettre que se modifient les choses?
On ne peut qu'insister surl'importance de la circulation de la parole dans les familles,afin que les proches soient mis au courant des volontés de chacun et non pas confrontés à des décisions improbables dans des moments difficiles...Ecrire ses directives n'est pas signer un arrêt de mort, mais donner à autrui : médecins, soignants, personne de confiance, proches, une direction, celle de vouloir décider de sa vie et de sa mort lorsqu'on est encore vivant et en plein possession de ses moyens.Cela n'arrive pas qu'aux autres, ces situations impromptues d'accidents de la route ou d'AVC... Anticiper n'est qu'une façon de transmettre à ses descendants et à ses proches un exemple de courage et de lucidité et cela va dans le sens d'une élaboration autrement plus constructive que le non-dit, le mensonge et le secret.
Je voyais, par coïncidence, ce week-end de Toussaint également, la projection de ce film « Amour », de peter Haneke sur la fin de la vie, plame d'or à Cannes dont je suis sortie éblouie et bouleversée, en pensant combien il est important que les directives anticipées soient clairement rédigéesafin de s'épargner une fin de vie aussi dépendante et dégradée. Mais surtout qu'elles puissent être appliquées ! Et là, se prend toute la mesure du chemin qui reste à faire...
On se fait accuser de sectarisme et d'étroitesse d'esprit quand on prône la possibilité d'auto-délivrance, cependant nous ne demandons pas aux autres d'entériner pour eux-mêmes des volontés qui nous sont propres, nous n'obligeons personne à valider notre vision des choses,nous demandons seulement qu'elle soit respectée ! Que nous puissions disposer de notre corps, librement, comme nous l'entendons. Point n'est question qu'il en aille de même pour autrui. Pourquoi devrions-nous plier à des règles qui, de surcroît, ne font pas l'unanimité dans la population ?
94% de la population française est pour la nouvelle législation (liberté et respect).
Un couple de Belges, pays où la loi est passée, encourageait Mireille Grebonval, déléguée admd44, à continuer la lutte en lui expliquant combien, depuis que la loi était appliquée dans leur pays, les choses étaient plus faciles. Ils vont d'ailleurs élargir la loi pour les mineurs et les malades dégénératifs type Alzeihmer...
Les médecins sont encore en effet, en France, dans des situations délicates à vouloir tenter de respecter les volontés de leurs patients en fin de vie. La loi Leonetti ne leur permet guère d'aller bien loin, et certainement pas de répondre à la demande de ceux qui veulent mourir, on sait que cela se pratique sous le manteau, mais à quels prix et avec quels risques ? Et je ne parle pas de la grande majorité des fins de vie où les directives anticipées reconnues par la loi Leonettine sont pas seulement appliquées. D'où la nécessité de les remplir, de distribuer des exemplaires aux proches et aux soignants pour que ce soit dans le dossier médical, et de nommer la personne de confiance pour les faire appliquer.
Pourquoi 345 médecins de renom ne s'aventureraient pas à oser signer un manifeste comme l'avaient fait dans les années 70, les 343 « salopes » ces femmes qui s'étaient engagées pour l'avortement ?
(Il y a déjà eu en 2007 un Manifeste de 2000 médecins et infirmiers initié par le Dr Denis Labayle, sans le soutien de l'admd, et paru sur le Nouvel Obs et le Midi Libre :
"Nous, soignants, avons, en conscience, aidé médicalement des patients à mourir... Parce que, de façon certaine, la maladie l’emportait sur nos thérapeutiques, parce que, malgré des traitements adaptés, les souffrances physiques et psychologiques rendaient la vie du patient intolérable, parce que le malade souhaitait en finir, nous, soignants, avons, en conscience, aidé médicalement des patients à mourir avec décence »
aucun signataire n'a été inquiété. l’initiateur du manifeste a reçu des centaines de lettres de soutien.
Mais aucune avancée législative depuis...
Livre « pitié pour les hommes, l'euthanasie, le droit ultime » paru en 2009)
http://www.denislabayle.fr/spip/spip.php?page=biographie&id_article=31
Le combat continue :
il nous faut obtenir une loi qui nous permette d'avoir le choix de notre mort, de décider de ce que nous voulons, pour nous... d'être respecté pour pouvoir mourir en paix, dans la dignité... avec l'aide des médecins si nécessaire.
références 1 et 2 : Philippe Labro « La traversée », Gallimard. , p56 et p 124.