7 Février 2013
Merci à la maire/sénatrice de Felletin pour la salle offerte par la mairie.
Nous remercions ceux et celles qui ont bravé la neige pour venir ainsi que ceux qui ont accepté de participer aux frais de déplacement.
Merci à Florence Plon d'accepter de nous communiquer le texte de sa conférence.
J'ai ajouté quelques commentaire en bleu.
Conférence de Florence Plon, psychanalyste, d'après ses livres « vivre la perte », « questions de vie et de mort »
(vous trouverez bientôt ces livres à la librairie d'Aubusson),
la question de la fin de vie, de la mort
et des directives anticipées, de la personne de confiance,
la question du deuil.
Qu'est-ce au juste que les Directives Anticipées ?
Un formulaire, juste un vulgaire formulaire, comme on en remplit tout au long de sa vie. Un acte de la vie. Mais ce formulaire a une particularité : celle de traiter de sa mort, de sa propre mort. On va devoir décider quelque chose, en tant que sujet vivant, sur ce qu'il va en être, de sa propre mort. Ce n'est pas rien, c'est grave, et alors oui, çà fait peur. Pourtant écrire, à l'évidence, ne fait pas mourir, eh bien, on dirait que si, tant les réticences sont multiples. Parler de la mort, et de la sienne en particulier, semble impossible ; parler de soi, en l'occurrence de la perte de soi, en famille, paraît insurmontable, insupportable... Pourtant, c'est dans l'intimité des proches que les choses devraient pouvoir se dire et se discuter en toute confiance. Pourquoi les membres d'une famille ont-ils tant de mal à aborder ensemble la question de leurs funérailles, du don d'organes, de leur fin de vie ?
Les D.A. viennent faire écho à ce malaise, à cette peur, à cette angoisse de la perte. C'est pourquoi je vais aujourd'hui vous parler de la perte. Qu'est ce que c'est que perdre ?
1) la perte dans le parcours du sujet
Vivre, c'est perdre. La perte fait partie de la vie, comme la mort, qui lui est consubstantielle. Ce sont des lapalissades, mais pourtant on évite au maximum d'y penser. Sinon, on serait peut-être dans une angoisse permanente et on n'avancerait plus. Qui pense en effet que donner la vie, c'est donner la mort ? Les parents sont loin de se pencher sur cette évidence ; et heureusement, car ils privilégient la continuité et la chaîne des générations. Mais pourtant il se trouve que notre société s'y voit confrontée de façon plus récurrente, pour une raison simple : l'allongement de la vie. Les personnes âgées, voire très âgées, peuvent voir mourir leurs enfants devenus des adultes, avancés aussi en âge, avant eux. C'est d'ailleurs une des nouvelles problématiques des maisons de retraite, cette cohabitation de plusieurs générations d'une même famille.
Notre société écarte comme politiquement incorrect tout ce qui a trait à la mort, à la maladie grave et à la souffrance : les hôpitaux sont devenus des bastions où toute cette réalité est contenue à l'insu ou l'invu de tous. Cela paraît confortable, mais ce manque de promiscuité et de fréquentation de la mort nous laisse vulnérables et peu aptes à faire face dans la sérénité.
D'où la difficulté de l'accompagnement en fin de vie, mais aussi dans la période du deuil. Au lieu que cela soit naturel, cela devient la chasse gardée de professionnels, dans des lieux réservés. Autrefois, la mort était bien plus familière dans les familles et dans la ruralité, de par la promiscuité avec la maladie et aussi de par la fréquentation de la vie et de la mort des animaux, y compris par les enfants. Aujourd'hui, on évite même d'en parler : il suffit d'entendre se plaindre les familles des malades qui voient le vide se faire autour d'elles (et je ne parle même pas du sida dont les malades voient quant à eux leurs propres familles et amis s'éloigner). Les familles touchées par un deuil s'aperçoivent très vite qu'elles dérangent à vouloir en parler et à ne pas passer rapidement à autre chose. Puisque, dans notre société, tout doit aller vite.
(il y a 50 ans seulement, le deuil se portait encore 3 ans dans les campagnes)
Or la perte, on y est confronté toute notre vie durant. Cela commence dès la naissance. La mère, en effet, s'autorise à ôter de la bouche du nourrisson le sein ou le biberon qui l'alimente et à ne lui redonner que quand il a faim et pas forcément quand il le demande. Ensuite, l'enfant fait l'apprentissage de la séparation, via la crèche, la nourrice, puis l'école maternelle. Adolescent et adulte, il vivra les ruptures amoureuses, puis en avançant en âge, si l'ordre des choses est respecté, la perte ponctuelle ou définitive de la santé et de l'image du corps dans le vieillissement et enfin l'inéluctable de la mort de ses proches, puis de lui-même.
Tout cela ne se passe pas sans heurts, sans douleur, ni parfois sans effondrements transitoires ou prolongés. Les réactions sont diverses mais jamais anodines tournant parfois au traumatisme, et nécessitant alors une aide extérieure pour pouvoir continuer d'avancer.
Qu'est-ce qui nous dérange autant au final ?
La mort est un passage par la solitude qui amène à : du rien. On voit bien comment notre société, qui tente de nous bourrer de tout, de répondre à toutes nos demandes, à tous nos besoins, sature sciemment toute possibilité de manque... Nous voilà donc très mal armés pour faire face à du rien... et forcément mal préparés pour faire face à la perte, aux deuils, aux privations, aux séparations. C'est là en effet que se situe le problème. Et cela a à voir avec ce qu'on appelle en psychanalyse : la castration. De quoi s'agit-il ?
La castration
C'est ce que nous explique Freud, dès qu'il met en place les fondements de sa théorie. Dans les « essais de psychanalyse appliquée », il dit : « nous ne savons renoncer à rien ».
La perte se rapporte donc à notre degré de castration ou pour le dire autrement, à notre capacité à faire face à la frustration. La perte, le deuil, sont en prise directe avec notre castration ; je m'explique : la castration est ce processus incontournable et ancestral sur lequel se fonde l'humanité. Il s'agit du respect, de l'acceptation de la loi, d'une loi fondamentale, celle de l'interdit de l'inceste.
Le petit humain, très vite, dans son enfance, va devoir comprendre et accepter que, malgré son désir de toute puissance infantile d'avoir sa mère (pour le fils), son père (pour la fille) sans partage, celui-ci est voué à l'échec. La pathologie se révèle s'il comprend qu'il y a du possible de ce côté là. En principe, si tout va bien dans la famille, la mère et le père sont prioritairement intéressés à aller voir ailleurs, par exemple dans leur couple, pour y loger leurs centres d'intérêt. Lorsque la mère, très ou trop maternante, a des virtualités de se consacrer exclusivement à son enfant, le dérapage commence si le père n'arrive pas à séparer là quelque chose d'un ordre fusionnel. Cette séparation opérée par le père est au principe de la castration.
Pour le dire autrement, comme l'expliquait Françoise Dolto, le regard de la mère doit aller de préférence à son partenaire même lorsqu'elle tient l'enfant dans ses bras, c'est une parabole, mais cela illustre assez bien en quoi, lorsque ce n'est pas le cas, nous assistons à des déboires qui remplissent les cabinets de patients. La castration n'a pas ou a mal opéré. Cette coupure qu'effectue le père va permettre à l'enfant de comprendre qu'il est un sujet à part entière et qu'il aura à désirer ailleurs que dans le couple parental, à savoir un ou une partenaire hors de la famille (hors de la tribu pour les civilisations primitives). A partir de ce renoncement, l'enfant pourra se construire sur une force lui permettant d'assumer les nombreuses et futures frustrations de sa vie d'adulte, à commencer par les pertes.
Cette boussole de la castration lui permettra de s'orienter dans les dédales du désir et aussi de pouvoir accepter, sans trop de dégâts, de manquer. Car c'est en effet ce manque qui fait le lit du désir.
2) L'aide
Dans cette histoire de la castration, et des carences qui lui sont afférentes, le psychanalyste peut s'avérer être un bon partenaire. Il n'adapte, ni ne normalise, comme cela se pratique massivement à l'heure actuelle par les techniques comportementalistes. Mais il fait advenir à lui-même un sujet. Il lui permet de faire émerger son désir par la reconnexion qui va s'opérer avec la loi. Sur ce terreau, se réhabilitera une capacité à se confronter à la coupure, à la perte, et à la mort.
Car pas d'humanité sans cette dimension d'acceptation de notre condition de mortel.
Condition ingrate sans doute, mais enviable cependant, comme le démontre l'odyssée d'Ulysse qui, sur sa route vers Ithaque, refuse la proposition d'éternité de Calypso pour rentrer chez lui mourir auprès de Pénélope.
Il n'est pas structurant de vouloir y échapper et de se complaire dans l'illusion. Ne rien vouloir en savoir, ne pas s'occuper de spécifier ses dernières volontés d'inhumation, de crémation, d'héritage, de don de ses organes ou pas, voilà une façon de rester dans une position infantile de toute puissance. Comme si nous étions invincibles et que la mort ne nous concernait pas. Ce sont malheureusement les proches qui en seront pour leurs frais, à devoir prendre des décisions qui n'auraient pas du leur incomber.
La crainte de dire les choses telles qu'elles sont, se fonde au final davantage sur la peur de l'autre, de sa réaction, de sa souffrance, de sa révolte. C'est ce qui préside, le plus souvent, à l'empêchement à dire, même des choses simples, dans la vie quotidienne, familiale ou professionnelle. On refoule, de crainte d'être rejeté, de ne plus être aimé ; au final, en voulant protéger l'autre, c'est surtout soi que l'on tente de protéger d'un retour négatif, d'une perte d'amour. Cela fait malheureusement bien souvent le lit des deuils pathologiques, car il y a un refus de prise en compte de la réalité au profit d'un leurre propre à l'imaginaire.
Que de fois, au cours de ma pratique, ne me suis-je pas trouvée devant des parents désemparés par leur impossibilité de parler de la mort à leurs enfants ? Que de fois ceux-ci ne développent-ils pas des symptômes liés à des non-dits. Que de fois ai-je du intervenir pour établir une vérité dont les enfants étaient demandeurs. C'est une erreur de penser que les enfants ne peuvent pas entendre les mots de la réalité ou de vouloir les préserver de toute souffrance.
J'entends souvent des instituteurs ou des psychologues se plaindre d'avoir eu une levée de boucliers des parents parce que, en temps scolaire, a été évoqué cette question de la mort. Le plus souvent parce qu'an sein de l'école, il y a eu le décès d'un enfant, d'un de leurs proches ou d'un membre du corps éducatif. Les enfants sont extrêmement demandeurs de paroles et d'explications exactes. Les leur refuser entraîne l'installation de processus imaginaires qu'ils se forgent, les déconnectant de la réalité. De surcroît, ils captent que le sujet est tabou, puisque c'est ce que le silence leur transmet.
Je me souviens d'un petit garçon de quatre ans qui m'a été amené suite à ses demandes explicitement verbalisées « que sa mère meure ». La mère, on la comprend, vivait très mal ces demandes réitérées. Leur relation était devenue tendue et agressive. Quelques séances ont permis de mettre en exergue une demande toute simple de l'enfant, qui voulait la voir monter au ciel comme il lui avait été expliqué, suite au décès de sa grand-mère maternelle. C'était sa forme d'altruisme vis-à-vis de sa mère qu'il ne savait comment consoler.
J'ai reçu aussi une jeune mère dont le petit garçon était devenu énurétique suite à la mort de son parrain alors qu'elle ne lui en avait rien dit. La maman avait vu en effet son jeune frère se tuer en scooter sous ses yeux ; tellement traumatisée, elle était dans l'incapacité de lui en parler. Avec son accord et en sa présence, j'ai expliqué les choses à ce petit garçon, et cette jeune femme a été la première à reconnaître que çà lui avait finalement paru simple, que cela pouvait être dit, qu'elle s'en trouvait soulagée.
Ces exemples pour montrer combien les choses se compliquent dès qu'elles sont marquées du sceau du secret, du non-dit, du mensonge. Pas expliquées, pas éclairées, elles entravent une saine compréhension et une bénéfique transmission.
Il faut dire les choses telles qu'elles sont, sans les aménager ou déguiser. C'est une question d'éthique. En effet, lorsque vous ne dites pas à quelqu'un quelque chose qui le concerne, vous le dépouillez de ses choix, de son libre arbitre et de sa position de sujet. Vous occupez une place de toute-puissance, de pouvoir, qui n'est pas saine. Chacun doit être libre de recevoir l'information qu'il souhaite dans ce qui le concerne personnellement. C'est un droit inaliénable. Sinon, d'un statut de sujet, la personne passe à celui d'objet, un objet de soins par exemple, comme on le voit encore, malheureusement, dans de trop nombreuses prises en charge médicales. Or, tout malade qu'il soit, un sujet est encore un sujet et l'on doit lui demander son avis, le faire participer activement aux décisions qui s'engagent. C'est simple et pourtant cela se pratique peu et mal.L'accès au dossier médical, la participation aux décisions et les directives anticipées pour statuer sur sa fin de vie, en font partie.
Et cela nous amène à revenir à ces situations, finalement peu éloignées, de fins de vie de proches qui ne sont pas accompagnées comme il se devrait parce que les uns et les autres sont empêtrés dans leurs inhibitions. Ceux à qui l'on cache qu'ils vont mourir, qu'ils ont une maladie irréversible ou un pronostic fatal... Ou ceux qui ont été mis au fait du diagnostic mais avec lesquels personne n'a le courage d'échanger sur ce qu'ils vivent, leurs angoisses, leurs peurs de ce qui se prépare... Parce qu'il y a cela aussi : la peur d'entendre...
J'écoutais Juliette Gréco, au cours d'une interview, exprimer son désarroi devant la mort et son incapacité à assister aux enterrements. Elle s'en tenait à garder de ses proches une image de vivants, et se jugeait elle-même immature sur ce plan. Pour lutter contre ce désarroi, il y a l'accompagnement. Lors d'un débat à la radio, j'entendais une collègue s'insurger contre le fait que, de nos jours, on accompagne tout le monde, tout le temps et partout... et elle remettait en question l'accompagnement du deuil comme lui paraissant une hérésie, dans la mesure où le deuil est une épreuve normale que tout un chacun doit être en mesure de traverser. Et pas forcément sous médicaments. Ce n'est pas faux : des accompagnements, on en voit beaucoup et partout, depuis ceux des handicapés, en passant par les SDF, jusqu'aux sinistrés de toutes les calamités que la planète subit. En même temps, il est vrai que certains sujets ne sont pas à même de traverser seuls des épreuves trop violentes et qu'il convient peut-être de les prendre en charge plutôt que de les voir devenir des poids pour la société, voire la sécurité sociale. Il est en effet économiquement et politiquement correct de ne pas laisser des citoyens sur le carreau tant que faire se peut . Cela commence malheureusement à rimer avec un souci de rentabilité... Comme d'ailleurs cette loi que nous demandons, dont il vaudrait mieux qu'elle ne soit pas votée pour vider les maisons de retraite...
(pas de risque immédiat : les EHPAD sont devenus le meilleur placement d'argent, or gris!)
La psychanalyse, dans son domaine, ne cherche pas à aider les sujets, ni à les prendre en charge, c'est bien ce qui signe sa différence. Elle vise à faire que les sujets puissent s'accompagner eux-mêmes, et puissent , à l'issue de leur cure, trouver en eux la force de s'accompagner dans les épreuves qu'ils auront à vivre. Elle entend qu'un sujet sache y faire avec son symptôme, et qu'il ne s'écroule plus à chaque fois qu'est touché un point sensible de souffrance et de vécu ancien, voire archaïque. Elle vise à ce qu'un sujet puisse faire face à la perte en restant debout, vivant, et prêt à continuer à avancer. Dans le deuil, elle accompagne sa reconstruction, ses avancées, au delà de la perte définitive de l'autre. Elle accompagne un sujet qui peut à son tour accompagner. On ne peut accompagner autrui que lorsqu'on s'est accompagné soi-même et que l'on est au clair avec sa mort.
N'écoutez pas ceux qui vous disent que le malade, le comateux, le mourant, ne vous entendent pas. Il faut parler à ceux dont on croit qu'ils ne sont pas en état de recevoir une parole, parce que justement, la parole passe1. Et il faut la faire passer. Pouvoir échanger avec le malade et ses proches en toute transparence pour que les choses se disent avant qu'il ne soit trop tard. L'après, pour ceux qui restent, se passe moins bien quand les choses en fin de vie n'ont pas pu se dire. On constate que les malades se sentent mieux et apaisés suite à des conversations avec les psychologues des soins palliatifs dès lors qu'ils ont rédigé leurs directives anticipées. Les proches en seront aidés dans leur deuil. Il faut le savoir, cela les soulage d'avoir pu accompagner quelqu'un selon ses choix. La seule aide, c'est d'être là, présent, à l'écoute, avec le courage nécessaire pour faire face à la perte de l'autre, cet autre dont, derrière la disparition, se profile toujours le spectre de notre propre mort.