22 Décembre 2012
L’activisme est apparemment toujours valorisé, même s’il est excessif.
C’est le paradoxe d’une revendication simultanée d’une médecine qui sauve à n’importe quel prix,
et d’une médecine qui doit avec discernement ne pas sauver.
Les urgentistes, le SAMU, sont dans cette situation.
La société leur demande de sauver.
Et il leur est donc quasiment impossible d’adopter en urgence une attitude palliative.
D’où le divorce fréquent entre médecine curative et médecine palliative, comme si l’on devait opposer technique et humanité, alors même que c’est l’harmonie entre les deux qu’il faudrait provoquer.
Cette rupture est particulièrement préoccupante.
La distinction entre un soin qui serait curatif et un autre soin qui serait palliatif n’a dans les faits aucun sens.
La visée du soin évolue avec l’avancée d’une maladie, au cours de laquelle il existe toujours une part de curatif et de palliatif…Le soin est indivisible.
Finalement, c’est la notion même de « prise en charge globale de la personne malade » qui fait toujours défaut .
les ARS devraient considérer dans leurs priorités l’animation de réseaux entre hôpital, soins palliatifs à domicile, équipes mobiles, HAD, EHPAD, SSIAD.
Or, nous observons :
des conflits entre réseaux jaloux de leur indépendance,
des difficultés d’échanges entre hôpital public et réseaux privés,
la rareté des équipes de soins palliatifs intervenant dans les EHPAD,
un engagement encore trop récent de l’HAD en ce domaine,
le conflit entre certaines équipes de soins palliatifs et les anesthésistes sur les modalités de la prise en charge de la douleur
l’indifférence – même si ceci est totalement compréhensible – de la discipline des soins palliatifs vis-à-vis des morts qui ne la concernent pas (urgences, EHPAD, services cliniques qui refusent pour des raisons qui leur sont propres leur accès à leurs unités mobiles).
Et au total, la difficulté d’une permanence des soins palliatifs 24h sur 24 et 7 jours sur 7.
Etre accueilli dans un service de soins palliatifs finit par être perçu par les citoyens comme une chance, réservée à un petit nombre. Les réseaux à domicile ne modifient pas radicalement cette inégalité d’accès.
La fin de vie s’alourdit ainsi d’une question d’équité et de justice dans l’accès aux soins palliatifs.
Dans les conditions actuelles, tous ceux qui devraient en bénéficier ne le peuvent pas, notamment si le médecin ne le propose pas, si le malade ne les connaît pas ou si les proches ne le demandent pas.
Culture palliative :
La séparation trop radicale entre soins palliatifs et soins curatifs finit par empêcher le développement d’une culture de la « démarche palliative ».
Cette culture signifie l’intégration d’une compétence en soins palliatifs dans toute pratique clinique et évite l’enfermement dans une activité spécialisée.
LES PHARMACIENS
Ceux-ci jouent un rôle important mais méconnu dans l’accompagnement de la fin de vie.
Les familles leur demandent souvent si les médicaments que le malade prend témoignent d’un pronostic grave à brève échéance.
Dans un contexte de démographie médicale de plus en plus restreinte, les pharmaciens d’officine sont souvent interpellés par les proches des malades en fin de vie.
Il leur est permis de livrer les médicaments au domicile : ils entrent donc, sans nécessairement y être préparés, à la fois dans l’intimité des personnes et dans la souffrance de la fin de vie.
Ce qui manque de façon évidente est le développement d’un véritable, travail en inter-professionnalité entre tous les acteurs – et ils sont nombreux – qui interviennent auprès des personnes en fin de vie (médecins libéraux ou hospitaliers, professionnels de santé ou du domaine médico-social voire social, les aides à domicile…).
Tant que la formation des professionnels de santé à la culture palliative restera marginale, il n’y a rigoureusement rien à espérer d’un changement des pratiques en France face aux situations de fin de vie.
Si un nouveau regard, heurtant les conformismes et les traditions, n’est pas porté par les pouvoirs publics, il n’y a aucune possibilité que les institutions médicales elles-mêmes proposent de leur propre chef, des changements dont elles ne mesurent pas l’importance sociale pour les citoyens.
L’hôpital est devenu un lieu de soins technologiques où priment efficacité, compétitivité, excellence, et au sein duquel un français sur deux meurt.
Chaque service est de plus en plus spécialisé, même la médecine interne qui a fini par recueillir la prise en charge des maladies rares.
Aucun service hospitalier n’est en charge de la mort.
La mort est le seul moment où l’ensemble des spécialités se retrouvent unanimes pour souhaiter le transfert de la personne, alors que le plus grand nombre de malades finissent leur vie dans un service médical ou chirurgical qui les a préalablement pris en charge pour les soigner d’une maladie ou d’un accident grave.
Cette culture d’hyper-spécialisation, qui rivalise de prouesses techniques, ne supporte que difficilement l’arrêt des soins et l’accompagnement simplement humain.
Tout s’est passé dans l’évolution du rôle de l’hôpital comme si la fin de vie et la mort était progressivement exclues alors qu’elles se déroulent de plus en plus dans ce lieu.
Dès qu’un malade dit non,ce non est suspecté venir d’un trouble cognitif ou d’une dépression mais il est rarement reconnu comme l’expression d’une volonté libre et éclairée,
ce qui encourage de fait la personne malade à la longue à dire oui systématiquement pour ne pas à avoir à se justifier.
Plus que la mort, ce qui fait difficulté aux acteurs hospitaliers et particulièrement aux médecins, est la manifestation de la fin de la vie et son cortège de souffrances.
Les médecins n’ont pas apprisà travailler sur cette ligne de crête correspondant à la limite des savoirs, à la limite de la vie, à leurs propres limites et aux limites des personnes malades.
Ce temps de la fin de vie est un temps de souffrances aussi bien du côté des personnes malades que du côté des acteurs de santé.
C’est probablement pourquoi les médecins ont cru pouvoir se distancier de la question en occultant la dimension sensible, relative à l’humain, pour surinvestir la dimension technique.
Ce faisant c’est la part proprement humaniste de la fonction du médecin qui s’est estompée.
Cette fréquente inhumanité est d’autant plus grave que le lieu de la mort est l’hôpital. Les chiffres sont en effet signifiants : 58% des malades meurent dans un établissement de santé, dont 80% dans un établissement public (rapport de l’IGAS 2009) ; 86% de ces décès sont constatés dans les services de courte durée ; 12% dans les services de soins de réadaptation ; 2% en Hospitalisation à Domicile (HAD) ; 3% dans les services de soins palliatifs ; 16% des décès surviennent lors de séjours inférieurs à 24h ; 20% des personnes concernées auront bénéficié de soins palliatifs, mais avec une majorité de 80% chez des malades atteints de cancer.
La mort à l’hôpital est donc essentiellement une mort dans un service clinique inadapté à cette situation.
Il n’existe pas de culture palliative de l’âge, ni de culture palliative pour les accidents vasculaires.
A côté des cancers, seules les maladies neuro-dégénératives et les états végétatifs prolongés font l’objet d’une telle attention.
L’hôpital doit répondre aux questions que posent deux formes de fin de vie:
une mort qui s’accomplit dans le temps que nécessite l’évolution d’une maladie grave et
une mort qui s’effectue dans la brutalité d’un accident que l’on ne pouvait anticiper.
Oubliée : La mort liée à la vieillesse, à l'usure du corps et de la vie.
La mort à l’hôpital est occultée, vue comme un échec.
Elle ne figure pas explicitement dans les missions de l’hôpital public, ou alors seulement, pour la seule question du prélèvement d’organes.
Ceci confirme l’idée communément admise selon laquelle la mort n’est pas une mission de la médecine.
Or, si elle ne l’est pas, l’accompagnement l’est.
Ce rejet risque de pousser les professionnels à aller dans une direction où la mort court le risque d’être niée.
Une médecine qui occulte la mort dans ses préoccupations s’interdit de répondre au minimum des exigences humanistes.
EHPAD
Nombreux sont les décès survenus en maison de retraite ou en Etablissement Hospitalier de Personnes Agées Dépendantes (EHPAD) : en 2011, ils représentent environ 12% de la mortalité globale survenue en France.
Selon l’expression d’un médecin généraliste entendu par la mission « les maisons de retraite type EHPAD sont le plus grand centre, mais improvisé, de soins palliatifs. C’est toujours dans l’improvisation ».
Ainsi, l’EHPAD, qui ne reçoit pourtant que des personnes très âgées, est victime de la culture ambiante qui place l’accueil de la mort en queue de toutes les préoccupations sociétales.
Cette culture qui a gagné aussi les soignants, n’encourage pas le travail en réseau ou en interdisciplinarité.
Mourir chez soi au milieu des siens est un voeu généralement partagé par l’ensemble des citoyens.
Pourquoi alors faut-il mourir à l’hôpital ou en institution pour 70% des personnes ?
En raison de facteurs multiples, parmi lesquels dominent la peur des familles ou de l’entourage, la disparition croissante du médecin de famille, devenu « médecin référent », et le sentiment qu’il peut toujours y avoir quelque chose à faire au dernier moment.
Accepter la mort n’est pas facile dans ces moments d’agitation, de gêne respiratoire, de perte de conscience, de douleur ou d’hémorragie.
La mort doit désormais avoir le visa de la médecine pour être acceptée : et quel est le meilleur visa que celui de la médecine hospitalière ?
Les familles accompagnantes ont de plus de peine à trouver de l’aide. Les aidants familiaux sont très largement insuffisamment aidés. Les métiers de l’aide à domicile sont peu attractifs.
LES SOINS PALLIATIFS À DOMICILE sont a priori très respectueux de la personne dans son environnement propre, ils sont réalisés par des équipes en principe pluridisciplinaires intervenant rarement de façon conjointe.
De fait, ils dépendent beaucoup de la possibilité pour les proches d’assurer l’accompagnement voire les soins.
Les rapports entre l’hôpital et le médecin généraliste sont loin d’être simples.
Près d’un compte rendu d’hospitalisation sur deux n’arrive jamais et dans la moitié de ceux qui arrivent à bon port, une autre moitié n’arrive… qu’après la mort.
LA LOI LEONETTI
Ignorée par le plus grand nombre, elle est généralement perçue par les citoyens comme une loi qui protège les médecins des foudres de la justice lorsque ceux-ci arrêtent les soins, et perçue par les médecins comme plutôt adaptée aux situations de réanimation adulte et néonatale qu’aux situations vécues dans le quotidien des soins.
Elle n’est pas vécue comme le respect du droit des malades et elle est loin d’avoir clôt le débat sur ces droits.
Que ce soit le mésusage de la sédation terminale, du principe du double effet, des directives anticipées ou de la place de la personne de confiance, on ne peut que constater la quasi absence de l’expression de la volonté de la personne à propos des choix qui la concernent.
Le paradoxe est que dans cette situation de fin de vie, et même dans un service de soins palliatifs, la personne peut se sentir dépossédée des dimensions essentielles de sa fin de vie.
Le malade n’a pas à consentir, mais à vouloir.
Dans ces moments d’extrême vulnérabilité, bien plus que le respect des dispositions juridiques, ce qui compte est le respect des sentiments, des préférences et encore mieux, de la volonté de la personne malade.
Les directives anticipées sont dans la loi Leonetti, mais n’ont aucune publicité, aucune obligation, et demeurent totalement en suspens dans l’univers médical, au contraire des dispositions prises dans d’autres pays d’Europe.
Même si ces directives étaient exprimées par écrit, leur renouvellement risque de ne pas suivre les battements du temps de la vie. Il parait difficile d’en faire une donnée majeure de l’existence.
En revanche, il semble évident que ces directives apparaissent comme essentiellesquand dans une famille, une personne est touchée par une maladie particulièrement grave et que l’entourage découvre alors la non prise en compte de ces directives.
Or, ce dispositif est tout d’abord méconnu des médecins,qui pourtant ont « pour obligation de s’enquérir de l’existence de ces directives, d’en vérifier la validité, d’en prendre connaissance et d’inclure les souhaits qui y sont exprimés parmi les éléments sur lesquels va s’appuyer sa décision médicale »
Tout médecin qui s’opposerait à ces directives anticipées devrait pouvoir en référer sous peine d’illégalité, voire de pénalisation, à une collégialité à déterminer. Tout non respect de directives anticipées devrait donner lieu à une justification écrite.