20 Juin 2013
SUICIDE SUR VOIE FERRÉE = « ACCIDENT GRAVE DE VOYAGEUR »
http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Suite-a-un-accident-grave-de-voyageur
Je viens de lire ce livre : « suite à accident grave de voyageur » 64 pages, par Eric Fottorino,
Je vous en conseille la lecture....
UNE SAGE RÉFLEXION, UN QUESTIONNEMENT sur le suicide et les autres...
sur le silence fait sur le suicide et les suicidés...
Qu'en pensez-vous ?
ET SI ON OSAIT ENFIN PARLER DU SUICIDE ? DE LA MORT VOLONTAIRE, programmée ou instinctive ? Que ce soit sur les rails ou autrement...
Liberté de se supprimer soi-même pour supprimer sa souffrance d'exister...
Pour le prévenir, pour d'abord aider l'Autre à vivre...
Pour l'adoucir si on ne peut rien faire d'autre (suicide assisté ou aide pour une mort douce lorsque plus rien ne permet une vie digne pour soi-même)
selon....
j'ai retenu quelques phrases :
le silence des mots... le crime du silence... taire est auxiliaire de tuer...
« mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde. (disait Camus)
ne pas les nommer, c'est nier notre humanité.
« à la violence du choc a succédé le silence. »
« pas un mot pour dire la souffrance... »
L'expression « trafic perturbé » m'est apparue dans toute sa froideur...
officiellement, aucun être humain n'avait été perturbé... le trafic, juste le trafic...
La parole...n'avait aucune place dans cette histoire... »
« Le fatalisme l'emportait, il n'y avait rien à faire et si peu à dire... »
« Le suicide sur les voies n'est pas une vie perdue, c'est du temps perdu.
On réduit cette mort là au fauchage d'un chevreuil... »
Taire m'est apparu comme le verbe auxiliaire de tuer. En niant cette souffrance, on ne laissait aucune chance au désespéré de partager son mal-être. »
« Croire que prononcer le mot « suicide » favoriserait les passages à l'acte laisse au sens propre sans voix. Taire est une paresse, un abandon qui cache une frayeur. Un déni pour couvrir une lâcheté. Le suicide est un drame du langage. Le bruit des trains couvre le bruit du silence. »
« Qui ne dit « suicide » se condamne à le revivre ad nauseam. … Le suicide interroge les fondements de notre condition humaine. … »
Je cherche un sens à ces actes. Je cherche à fissurer le silence... je voudrais que tous m'entendent. »
d'autres extraits :
« une voix neutre a résonné dans les hauts parleurs de la gare : « suite à un accident grave de voyageur... »
« une voix mécanique a prononcé la formule habituelle : suite à un accident grave de voyageur, le trafic est interrompu »
« L'agent a évité le mot « suicide ». Le prononcer, parait-il, aurait pu déclencher d'autres passages à l'acte. Certains mots ont la force du désespoir. »
« nos vies ont pris un peu de retard, à cause de 3 détresses qui n'ont jamais existé. »
« Un événement banal s'était produit, aux conséquences purement matérielles...
je ne reconnaissais rien d'humain dans ces paroles désincarnées.
Elles composaient un chef d'oeuvre d'évitement. »
….une suite de mots pour ne plus y penser, pour passer à autre chose...
…dire « suicide » eut été périlleux pour les vivants... le suicide c'est contagieux...
Le vieillard : Il y avait eu appel à témoins. La police avait eu du mal à obtenir des détails. Les gens qui avaient vu quelque chose étaient en état de choc. Parler était au dessus de leurs forces...
La jeune femme ? Ma fille a été témoin. « Ses mains continuaient de trembler... Je l'ai encouragée à dire ce qu'elle avait vu : la personne (elle n'avait pas vu qui) n'avait pas sauté, elle s'était laissé tomber, le corps en chute libre...Le train était lancé. Après son passage il n'était rien resté de la silhouette. Des gens avaient crié. »
J'ai voulu savoir. .. Savoir ce que les gens savaient. ...La plupart n'avaient entendu parler de rien.... Mes questions suscitaient un certain malaise. Pourquoi parlais-je d'événements dont personne ne parlait ? Je nous prenais en flagrant délit de ce que Mauriac appelait autrefois « le crime de silence. »
« Ce qui unit la foule face au suicide, c'est l'incompréhension....
Les grandes douleurs sont muettes. On n'entend rien et on ne voit guère mieux. …
Je me suis dit qu'ils avaient leurs raison, à la SNCF, pour banaliser ces tragédies du quotidien...
IL fallait que tout rentre dans l'ordre. ...On effaçait les traces... Le spectacle continuait...
Il s'agissait bien de spectacle, avec censure et morceaux choisis.Illusion d'optique, lavage de cerveaux...
Parade grossière : ce sont les morts ignorés qui marquent les esprits au plus profond. »
les rapports des pompiers : « personne sous un train »
« double sens troublant : qui s'est jeté sous le train ? Personne. Il y avait bien quelqu'un pourtant, juste avant. »... « un accident de personne, c'est se déplacer pour rien. »
« quand la personne est coupée en trois, ses hommes (les pompiers) n'ont plus rien à faire sur place. »
« dans les rapports internes, on note : le retard de 45 rames , l'impact des débris humains à l'avant de la motrice et sur la voie. Le plus souvent, le conducteur est remplacé. »
« Je reste interdit devant la succession de ces événements puis leur évanescence. ...
Je dresse l'inventaire de la souffrance en souffrance. Celle de la victime, avant son geste. Celle de ses parents, de son conjoint, de ses enfants, de ses amis. Des témoins du suicide. …
Cette douleur orpheline, nul ne l'adopte. … Je cherche à en parler. Je me heurte au silence. …
L'accident de personne est vraiment l'accident de personne. »
« Sophie est médecin. Elle connaissait le vieil homme et la mère de famille.
Sophie a tenu à dire ce qui s'était passé. Pour qu'ils sachent. Pour placer une parole sur ce malheur anonyme.... ne rien dire est une erreur.
Ces gens n'étaient pas des marginaux. Ils étaient bel et bien dans la vie. ...
Sophie sait qu'il faudrait parler. Si les gens ne parlent pas, on passe à côté.
Elle se demande jusqu'à quel degré de souffrance il faut aller pour se détruire de la sorte. Jusqu'où il ne faut pas s'aimer. Elle estime que la destruction physique fait partie du choix. On ne peut plus imaginer le corps de la victime. … »
« Je cherche ce que ces désespérés ont voulu nous dire, à nous les vivants.
Leur mise à mort est une mise en scène. …
S'ils se jettent ainsi au vu de tous, c'est qu'ils se croient invisibles.
« je n'ai jamais vu de bouquets sur les voies où se sont jetés les suicidés.
On jette sur les rails nettoyés de la sciure ou du sable. La sciure des animaux. Le sable de l'oubli.
Où sont les mots ? … Puisque rien n'est dit de ces drames, …
j'ai recherché le seul lieu où se réfugiait le réel : sur la toile, comme toujours...
un tableau d'Edward Hopper : « les oiseaux de nuit », m'a ouvert les yeux...
un autre tableau : « la maison près de la voie ferrée »...
autre toile : le web...
« le site « blogencommun », entre l'été 2008 et début 2009 a hébergé de vifs échanges sur les accidents de voyageurs...
« échanges anonymes : une fois de plus : personne ne parle à personne...
obsession des retards causés, colère, haine, peu de compassion
Pour les témoins directs, la nécessité d'en parler est plus forte que tout.
Devant le non-dit organisé, il faut que les mots sortent et que d'autres les écoutent. ...
Sans parole, pas de conversation. Sans échange, pas de réflexion. Pas d'aide. Pas d'anticipation. Aucune chance de voir émerger une solution. C'est le laisser-faire, le laisser-mourir. … »
« Certains s'en veulent de ne pas avoir pu empêcher le pire. La culpabilité s'ajoute au traumatisme. … « Cette souffrance, cette sensation de faute, cette peur, nul ne veut en entendre parler.
On connaît le nombre de soldats français tués … là ou ailleurs... , on compte par milliers, on ne compte pas au détail. On a renoncé à l'inventaire. Ces maux ne sont pas chiffrés.
Les suicidés du rail n'existent pas plus que la douleur qui les a vaincus, que la douleur transmise aux vivants. »