5 Juillet 2023
À l'issue des auditions et déplacements réalisés, Michelle Meunier estime, comme elle l'avait déjà soutenu en 2021 notamment, qu'un accès à l'aide active à mourir est aujourd'hui légitime, nécessaire et possible dans des conditions d'encadrement satisfaisantes.
Malgré des évolutions certaines apportées par la loi Clayes-Leonetti sur l'accompagnement des personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme, force est de constater que certaines situations ne trouvent pas de réponse à des souffrances importantes.
Parmi ces situations, on peut citer :
- les maladies neurodégénératives particulièrement graves, telles que la sclérose latérale amyotrophique (SLA)171(*). Lorsque ce type de pathologie incurable, rapidement évolutive, conduit à une paralysie généralisée avec impossibilité pour la personne de s'alimenter seule et que celle-ci refuse la perspective de se retrouver dans une situation de dépendance qu'elle jugerait incompatible avec sa dignité, les dispositifs de la loi « Claeys-Leonetti » - à savoir l'arrêt des traitements, dont l'alimentation artificielle, et la mise en oeuvre de la sédation profonde et continue - n'apparaissent alors pas nécessairement adaptés à une situation dans laquelle la crainte de la perte d'autonomie est source de souffrance existentielle et constitue l'un des motifs de demande d'aide active à mourir les plus souvent avancés ;
- les états pauci-relationnels stables pour lesquels un certain nombre de médecins estiment que la loi gagnerait à être clarifiée afin de les faire relever explicitement du dispositif de la sédation profonde et continue jusqu'au décès au titre du refus de l'obstination déraisonnable ;
- les maladies neurodégénératives susceptibles d'occasionner des troubles cognitifs lourds affectant gravement l'autonomie de la personne, telles que la maladie d'Alzheimer ou certaines démences, et pour lesquelles les patients peuvent vivre dans une angoisse existentielle de perte de leur autonomie.
Que la loi actuelle ne réponde pas à l'ensemble des situations aujourd'hui existantes est par ailleurs la conclusion à laquelle sont parvenus les conventionnels au terme de leurs travaux, 82 % estimant que le cadre actuel n'était pas adapté aux différentes situations rencontrées.
Sans remettre en cause les avancées importantes qui ont été permises par la loi Leonetti de 2005 et la loi Claeys-Leonetti de 2016, force est de constater qu'elles n'ont pas permis d'apaiser définitivement les débats sur la fin de vie et trouver de réponses aux situations précitées.
La proposition d'un accès à une aide active à mourir est soutenue de manière récurrente par l'opinion publique. Selon un sondage172(*) de mars 2019 de l'institut Ipsos, 96 % des personnes interrogées se sont déclarées favorables à la reconnaissance d'un droit à l'euthanasie : 36 % estiment que « les Français devraient avoir la possibilité de disposer d'un droit à l'euthanasie quelles que soient leurs conditions de santé » et 60 % jugent que « le droit à l'euthanasie devrait être encadré et possible uniquement en cas de souffrances graves et incurables ». Un sondage173(*) plus récent estimait encore en avril 2023 que 70 % - contre 15 % opposés et 15 % ne sachant pas - étaient favorables à l'ouverture d'une aide active à mourir comprenant suicide assisté et euthanasie.
Cette position est aussi celle qui a émergé des travaux de la Convention citoyenne, dont 76 % des membres ont estimé que l'accès à l'aide active à mourir devait être ouvert.
Si les exemples belge, néerlandais et suisse sont souvent évoqués, ces pays ne sont de manière évidente plus isolés. Alors que l'Allemagne et l'Italie travaillent à établir un cadre, le Parlement portugais y est finalement parvenu cette année après plusieurs tentatives et l'Espagne a mis en oeuvre le droit à l'euthanasie à partir de 2021. Récemment, la Première ministre danoise a elle aussi annoncé son souhait de voir le pays ouvrir l'aide active à mourir. C'est bien la France qui, aujourd'hui, montre un certain conservatisme en la matière et se trouve isolée sur cette question.
Les évolutions prudentes que le législateur a pu soutenir depuis 1999 concernant les droits des patients et l'accès aux soins palliatifs montrent aujourd'hui leurs limites et leur caractère incomplet.
Ce constat est fait par le Comité national consultatif d'éthique, lequel estime bien, dans son avis 139, « qu'il existe une voie pour une application éthique d'une aide active à mourir, à certaines conditions strictes, avec lesquelles il apparaît inacceptable de transiger ». L'évolution dans la position du CCNE doit être appréciée comme un révélateur du cheminement de cette question dans la société, sans doute, du constat d'un besoin incontestable, certainement.
Le Comité convoque pour expliquer sa démarche le principe de solidarité face à des situations que la loi actuelle ne couvre pas, que sont les personnes atteinte de maladies graves et incurables mais dont le pronostic vital n'est pas engagé à court terme et, partant, n'étant pas éligibles à la possibilité d'une sédation profonde et continue.
Le Comité estime ainsi souhaitable d'envisager la possibilité d'un « accès légal à une assistance au suicide [qui serait] ouverte aux personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires, dont le pronostic vital est engagé à moyen terme ». Cependant, constatant immédiatement les limites qu'un tel droit porterait, à savoir son ineffectivité pour les personnes ne pouvant physiquement réaliser par elles-mêmes le geste létal, certains membres proposent que ces patients puissent « disposer en outre d'un accès légal à l'euthanasie sous la même condition d'un pronostic vital engagé à un horizon de moyen terme ».
Le Comité insiste, parmi les exigences éthiques qu'il formule, sur :
- l'autonomie de la personne, considérant que « la demande d'aide active à mourir devrait être exprimée par une personne disposant d'une autonomie de décision au moment de la demande, de façon libre, éclairée et réitérée, analysée dans le cadre d'une procédure collégiale ;
- la traçabilité et la collégialité de la décision médicale d'accéder à la demande du patient, « la décision de donner suite à une demande d'aide active à mourir devrait faire l'objet d'une trace écrite argumentée et serait prise par le médecin en charge du patient à l'issue de la procédure collégiale ».
· La rapporteure estime nécessaire d'ouvrir aujourd'hui un droit de mourir dans la dignité dans notre pays, lequel repose sur un accès aux soins palliatifs mais, aussi, sur l'accès le cas échéant à une aide active à mourir.
Sans considérer que l'aide active à mourir relèverait du « sens de l'Histoire », il peut être noble d'estimer que nos sociétés sont aujourd'hui assez matures pour que le sujet de la mort puisse être collectivement abordé et le droit d'assister chacun dans une mort digne reconnu.
Ainsi, à ceux qui y voient une transgression d'un interdit fondamental de toute société qu'est le fait de tuer, il peut être opposé l'idée d'une humanité suffisamment aboutie, réfléchie et nuancée pour, au nom d'un principe de solidarité, arriver à le dépasser.
Le présent rapport n'a pas vocation à définir de manière précise les critères ou modalités d'accès qui devraient être ceux retenus pour l'ouverture de l'aide active à mourir.
La rapporteure estime que le texte déposé en 2020 par sa collègue Marie-Pierre de La Gontrie devrait pouvoir utilement servir de base de travail.
Deux modalités de mise en oeuvre de cette aide active à mourir devraient être, comme cela avait été proposé en 2020 :
- le suicide assisté, défini comme la prescription à une personne par un médecin, à la demande expresse de cette personne, d'un produit létal et l'assistance à l'administration de ce produit par un médecin ou une personne agréée ;
- l'euthanasie, définie comme le fait pour un médecin de mettre fin intentionnellement à la vie d'une personne, à la demande expresse de celle-ci.
La rapporteure estime souhaitable d'ouvrir la possibilité au suicide assisté et à l'euthanasie. En effet, le constat fait par le Comité d'éthique dans son avis 139 sur les lacunes d'un accès au seul suicide assisté est pertinent. Si la société, en ouvrant l'aide active à mourir, entend le faire au nom du principe de solidarité, elle ne peut écarter l'euthanasie comme modalité possible d'aide active à mourir.
L'aide active à mourir doit être un droit reconnu à chacun.
L'aide active à mourir ne se conçoit pas comme un « droit à mourir » qui serait reconnu à tous, sur simple demande et auquel la société devrait donner satisfaction.
D'une part, il n'y a pas d'interdit de mort, ni dans le droit - le suicide n'étant par exemple pas pénalisé - ni dans les faits : la mort concernera chacun un jour.
Il s'agit ici d'apporter non un « droit-créance » mais une réponse à des personnes en grande souffrance. En cela, bien que la rapporteure constate la réticence de certains médecins, l'euthanasie et le suicide assisté apparaissent bien comme la continuité du soin.
La proposition de 2020 retenait trois critères nécessaires pour se voir reconnaître le bénéfice d'une aide active à mourir. Le patient devrait ainsi :
- être capable au sens du code civil ;
- être en phase avancée ou terminale d'une affection d'origine pathologique ou accidentelle, même en l'absence de pronostic vital engagé à court terme ;
- être atteint d'une affection accidentelle ou pathologique aux caractères graves et incurables avérés et infligeant une souffrance physique ou psychique inapaisable qu'elle juge insupportable ou la plaçant dans un état de dépendance qu'elle estime incompatible avec sa dignité, y compris en cas de polypathologies.
On peut constater que cette définition rejoint en partie le cheminement fait dans des pays voisins et de tradition culturelle et sociale proche de la nôtre. Ainsi, en Espagne, la loi légalisant l'euthanasie et le suicide assisté est entrée en vigueur le 1er juin 2021175(*). Les soignants peuvent « mettre fin à la vie d'un patient de manière délibérée, à sa demande », lorsque le patient est majeur et qu'il subit soit une « souffrance grave, chronique et invalidante », soit « une maladie grave et incurable, provoquant une souffrance intolérable ».
En outre, dans la mesure où l'aide active à mourir ne fait dans ce cas qu'accélérer la mort qui doit survenir du fait de la maladie identifiée, il est justifié de rattacher la mort à la maladie et, partant, considérer cette mort comme naturelle.
Il s'agit par ces critères de répondre aux lacunes identifiées de la loi Clayes-Leonetti et ainsi :
- de lever l'exigence de l'imminence du décès pour abréger les souffrances de la personne. L'engagement du pronostic vital à court terme, qui constitue aujourd'hui une condition de la mise en oeuvre de la sédation, ne serait plus requis ;
- de donner une place prépondérante à l'appréciation que fait le patient de sa situation, et ainsi poursuivre le rééquilibrage de la relation patient-médecin.
La procédure alors proposée garantissait la collégialité d'une part, la traçabilité d'autre part. En effet, le médecin saisi de la demande devrait ainsi vérifier que les critères sont remplis et, par la suite, solliciter l'avis d'un confrère accepté par la personne concernée ou sa personne de confiance. A posteriori, un rapport sur les circonstances du décès serait adressé à une commission nationale de contrôle créée à cet effet.
Enfin, il n'apparaît ni nécessaire ni pertinent de proposer une clause de conscience spécifique aux médecins.
· La rapporteure estime qu'il existe une possibilité d'aide active à mourir encadrée, éthique et contrôlée, qui n'encoure pas de risques de « pente glissante » parfois brandis.
La politique de la fin de vie doit fonctionner « sur deux jambes » complémentaires, les soins palliatifs et l'aide active à mourir.
Dans son avis 139, le Comité d'éthique place d'ailleurs bien l'amélioration des soins palliatifs comme première condition pour envisager l'ouverture de l'aide active à mourir.
Comme le soutenait la proposition de loi de 2020, il convient de rénover le cadre juridique applicable aux directives anticipées. Il est nécessaire de renforcer leur caractère contraignant pour l'équipe soignante et d'ouvrir la possibilité de les rédiger à toute personne capable mais aussi aux personnes sous tutelle avec l'autorisation du juge.
Surtout, la rapporteure renouvelle, en plein accord sur ce point avec ses collègues rapporteures,
la nécessité absolue de développer rapidement et sur l'ensemble du territoire l'offre de soins palliatifs. Elle renouvelle ainsi les recommandations formulées dans le rapport sur les soins palliatifs adopté en 2021 par la commission.
L'offre de soins palliatifs participe pleinement de l'effectivité du choix laissé au patient dans leur fin de vie. À ce titre, la proposition de loi reconnaissait un droit universel à l'accès aux soins palliatifs et à un accompagnement.
Le droit à la vie et à une vie digne commande un droit à une mort digne pour chacun.
Il appartient à la société, compte tenu des moyens dont elle dispose, de rendre effectif ce droit.